Jean Dutourd, mise en bière

Publié: 19 janvier 2011 dans Livres
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« Epatant » pour Raphaël Sorin, l’écrivain Jean Dutourd est décédé le 17 janvier à l’âge de 91 ans.

Hier, à l’annonce de la mort de l’académicien français, Immortel qui a fini par démentir sa réputation, j’ai cru qu’on allait décréter un jour de deuil national. Car les hommages se sont entassés,  « de Nicolas Sarkozy à Amanda Lear », comme des couronnes mortuaires au pied de l’habit vert et doré transformé en linceul.

Beaucoup plus réactif que pour les derniers épisodes du règne du tyran Ben Ali, l’Elysée a publié illico le communiqué suivant :

« Le Président de la République a appris avec tristesse le décès de Jean DUTOURD.

Il tient à saluer la mémoire de cet iconoclaste des lettres françaises.

Chez Jean DUTOURD, résistant et intime de Gaston BACHELARD, la provocation n’a jamais éclipsé l’engagement et la profondeur de la pensée.

Brillant styliste dans la grande tradition de STENDHAL et de GIONO, il était aussi le peintre âpre et lucide de l’âme humaine dont tous les lecteurs de « Au bon beurre » garderont le souvenir. »

(Photo non signée, lemonde.fr du 18.1.2011. Le tag a été rajouté. Cliquer pour agrandir.)

Frédéric Mitterrand – la révolution tunisienne lui laisse quand même quelques loisirs – a fait diffuser, pour sa part, les lignes suivantes :

« De sa plume acerbe d’écrivain depuis 1946, comme de la pointe de son épée d’académicien depuis 1978, ce brillant styliste défendait la langue française des attaques extérieures avec la même vigueur que, grand résistant, il avait défendu Paris et sa patrie. Il incarnait à sa manière l’esprit français, ce territoire familier où Balzac n’est jamais très loin de Claude Chabrol. » Coupez !

Je me souviens avoir lu Au bon beurre (qui récolta le pris Interallié en 1952) et avoir regardé un soir l’adaptation télévisée, réalisée en 1980 par Edouard Molinaro (avec Roger Hanin et Andréa Ferréol), dont une photo figure en couverture du livre réédité chez Folio. Mais je n’ai pas retrouvé, ni cherché d’ailleurs, l’exemplaire original paru chez Gallimard et que je tenais de mon père.

C’était un tableau de la France sous l’Occupation, celle du rationnement, de la débrouillardise, des compromissions : rendons à Jean Dutourd le fait d’avoir choisi à l’époque le camp de la Résistance, même s’il devint par la suite un réactionnaire impénitent, pourfendeur indécrottable de « la gôche », et une vedette pas gênée de l’émission franchouillarde Les Grosses têtes sur RTL.

Par hasard, j’avais retrouvé, en mars 2009, un article écrit par Jean Dutourd dans France Soir concernant la représentation à Paris, en 1969, de la pièce de théâtre Le Concile d’amour, d’Oscar Panizza – parue, avec une préface d’André Breton, chez Jean-Jacques Pauvert – et je l’avais reproduit dans Le Chasse-clou.

Même si l’on ne doit pas rire dans les cimetières, cette « critique » demeure un morceau d’anthologie. Elle pourrait même être lue, en guise d’oraison funèbre, au bord de la fosse réservée à l’académicien français (oui, Monsieur !) lors de sa prochaine mise en bière. 

commentaires
  1. brigetoun dit :

    redoutable rappel – me ramène en mes jeunes années et au Figaro seul journal disponible chez mes grands parents (à part la Revue des Deux Mondes et la Revue de Paris) et à son critique, célèbre alors et dont j’ai oublié le nom – qui se trompait avec une régularité et des arguments qui rendaient indispensables le contre-pied

  2. @ brigetoun : Jean-Jacques Gautier ?

  3. @ brigetoun : oui, Louis, et les deux formaient « la fine équipe » !

  4. JEA dit :

    Selon F. Mitterrand : Dutourd, écri-vain mort dans un fort Chabrol ? Ou dans un Bal-zac tragique ?

  5. @ JEA : il est vraiment trop fort (c’est Balzac qui « n’est jamais très loin » de Chabrol, et non l’inverse !) : ce « touriste » de Mitterrand n’a sans doute pas trop de la double nationalité pour porter une casquette à deux visières.

  6. gballand dit :

    Votre parallèle – sur les réactivités différentes – m’a fait sourire. Jean Dutourd a écrit « Au bon beurre », je ne le savais pas, sans doute le livre de chevet de M. Sarkozy… Un titre qui pourrait définir le monde politique d’aujourd’hui.
    Merci d’avoir mis en ligne la critique de M. Dutourd, édifiante. Quand je le vois assis dans son fauteuil d’académicien, j’imagine ce que doivent être les après-midis à l’Académie Française… des siestes collectives ?

  7. alainlecomte dit :

    Dutourd et Bachelard??? mince…
    enfin, tout ça vaut bien une petite bière…

  8. @ alainlecomte : les discours de Sarkozy piochent allègrement dans Wikipédia (donné ici pour preuve), ce qui ne veut pas dire que l’info est inexacte.

  9. PdB dit :

    je propose que Fredo prenne la place à Dutourd sous la coupole : avec crâne d’oeuf VGE ce seront deux beaux fleurons de la langue française réunis (évidemment, pour les autres immortels, ce n’est pas très charitable, mais en même temps, comme la plupart sont sourds comme des pots…) (attaque ad hominem petite et basse, je sais)

  10. @ PdB : oui, l’oncle n’ayant pas eu le temps de siéger sous la Coupole (mais maintenant il y a un âge limite), le neveu pourrait s’y poser.

    Il ne risquerait pas un coup de soleil comme en Tunisie ni un coup du sort comme au gouvernement (retour de bâton toujours à craindre).

    Quant à ses oeuvres littéraires, il rassemblerait en un seul volume tous les commentaires en voix « off » de son émission « Etoiles et toiles », et le ferait éditer chez Plon. Cela lui servirait de passeport pour pénétrer quai Conti.

  11. Sophie K. dit :

    J’aime bien le rapprochement entre Nicolas et Amanda. C’est très « télé-réalité » – on a d’ailleurs de plus en plus l’impression de regarder tous ces gens comme s’ils étaient de l’autre côté d’une vitre, comme on regarderait une collection de moules dans un grand aquarium. (Dans l’ensemble, ils sont quand même longs à supporter…)

  12. Natacha S. dit :

    J’ai eu 20 ans il y a plus de 40 ans. Jean Dutourd était déjà la référence des sottises et méchancetés bêtes dites sur les femmes. Et ce vieux réactionnaire était encore debout, en tous cas assis sur son fauteuil? Que le temps peut sembler long parfois…

  13. manu causse dit :

    C’est, typiquement, un jour à reprendre deux fois des moules.

  14. @ Sophie K. : je me suis demandé si une nouvelle idylle n’était pas, comme l’anguille élyséenne, sous roche ! Mais si on en a marre de l’aquarium (et s’il est éclairé), on débranche, non ?

    @ Natacha S. : c’est bien pour cela que je n’ai pas compris le commentaire d’un Raphaël Sorin (mais la provoc littéraire, c’est toujours rigolo !).

    @ manu causse : ne pas oublier les frites avec (et beaucoup d’ail).

  15. Dom A. dit :

    Il faut appeler un con un con.
    Marcel Gotlib s’en était fort bien occupé dans une inoubliable » Rubrique à brac » !

  16. Marie dit :

    Certains ont des tours dans leurs sacs , l’hommage vaut-il le détour … Dutourd a bien vécu , la mise en bière aura des brèves de comptoirs autour d’un café noir … 🙂
    Bonne journée …

  17. @ Dom A. : dans « Le Canard enchaîné », vue hier soir, l’épitaphe décernée à J.D.

    @ Marie : Hommage, cela dépend de la part de qui…

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