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Honni, Moubarak

Publié: 29 janvier 2011 dans Histoire
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Le 17 janvier, Libération titrait en une : « A qui le tour ? ». Nicolas Demorand n’était pas encore pressenti aux commandes et la question semblait presque iconoclaste, après la fuite de Ben Ali de Tunisie, le 14 janvier, sous la formidable pression des manifestants.

Hier soir, France 2 ouvrait son « 20 heures » par le sujet suivant : « Victoire de l’équipe de France de handball contre la Suède », et enchaînait quand même avec la situation insurrectionnelle en Egypte, alors que depuis plus d’une heure des chaînes comme iTélé ou BFM TV montraient en direct les affrontements, dans les plus grandes villes du pays, entre les manifestants, la police et l’armée.

Pour le reportage « lancé » par l’aimable Laurent Delahousse, qui mettait en garde les téléspectateurs contre la violence de certaines images, la plupart des plans avaient été filmés dans l’après-midi (matraquages, tirs de grenades lacrymogènes, un visage en sang…). Pendant ce temps-là, des camions étaient en feu, des véhicules  de la police caillassés, une foule immense faisait reculer les forces de l’ordre, des bâtiments officiels brûlaient au Caire et à Alexandrie, les blindés de l’armée prenaient possession de la nuit.

(Capture du monde.fr ce matin à 7h.20. Le tag a été rajouté.)

Dans la soirée, le discours de Hosni Moubarak, président désormais honni (au pouvoir depuis le 14 octobre 1981), semblait la copie conforme du dernier prononcé par son « collègue » tunisien Ben Ali, avant qu’il n’embarque fissa en avion vers une destination exotique.

Une fois de plus, « le service public » télévisé français apparaissait dépassé par les événements et incapable de mesurer – ne serait-ce qu’en les montrant – les enjeux en cours. David Pujas préparait déjà sans doute sa valise pour aller faire « un direct » dans quelques jours au Caire, une fois « le Raïs » débarqué ou la situation redevenue plus calme, comme il l’avait fait à Tunis, triomphant après coup.

Internet avait été bloqué par les compagnies de téléphone, sur ordres venus d’en haut, et même les communications téléphoniques ordinaires étaient devenues impossibles : Hillary Clinton elle-même demandait qu’elles soient rétablies.

Après la Tunisie, l’Egypte… La pyramide des différents potentats s’écroulait, les peuples s’exprimaient, ici ou là, et faisaient bouger l’horizon de l’espoir. Rien n’était donc jamais impossible dans le domaine politique ?

Dès avant la manifestation d’hier, tous les médias – enfin, vous voyez lesquels – nous ressassaient le refrain, comme dirigé par un chef d’orchestre invisible : c’est « l’essoufflement », le mouvement marque le pas (dans les rues), Sarkozy est déclaré « vainqueur », la réforme des retraites a été votée sans coup férir, hors quelques « bloqueurs » irresponsables, tout va rentrer dans l’ordre et l’on peut espérer, vu « le ralentissement significatif de la mobilisation » (les vacances scolaires de la Toussaint, c’est quand ?), « une sortie de crise dans les jours ou les semaines qui viennent » (sic), dixit l’expert Eric Woerth.

Celui-ci resterait même en selle après le remaniement gouvernemental !

(Capture d’écran de Public Sénat du 27 octobre. Photo AFP. Le tag a été rajouté.)

Hier soir, sur France 2, la triomphante Marie Drucker, qui a décidément l’oreille du pouvoir, affirmait à plusieurs reprises, tableau comparatif à l’appui, que les manifestants étaient « deux fois moins nombreux » que précédemment : 560 000 selon la police et seulement 2 millions selon les syndicats, alors que, le 19 octobre, les mêmes compteurs indiquaient respectivement 1,1 million et 3,5 millions de protestataires. Mais pour présenter un journal d’information sur une chaîne de « service public » (nouveau rédacteur en chef des services politique et économie : Fabien Namias), est-il nécessaire de savoir multiplier ou diviser par deux ?

Finalement, ce « mouvement antisarkozyste » (titre du Journal du dimanche du 24 octobre) et non dressé contre la politique sarkozienne – un prurit somme toute passager vis-à-vis d’un homme et non une révolte profonde face à l’injustice imposée  par ce régime depuis mai 2007 – s’éteindra de lui-même, comme une torchère du côté de Feyzin (69). On a eu chaud.

L’atypique Jean-Louis Borloo donné comme futur Premier ministre (indice : son passage récent chez le coiffeur), le retour d’Alain Juppé (peut-être ministre de la Défense à la place d’Hervé Morin pour qui « les Français sont des cons »), quelques récompenses et punitions distribuées ici et là par le plus haut représentant de l’Etat : la prochaine étape est dûment programmée.

Et puis les fêtes de fin d’année approchent, la chasse aux cadeaux sera ouverte, la consommation repartira à la hausse, alors toute cette agitation ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir. Le marchand de sable fait ses provisions.

(Photo : Paris, le 28 octobre, place de la République, 14 h 53. Cliquer pour agrandir.)