Proust, sortie d’autoroute (A 11)

Publié: 22 avril 2011 dans Livres
Tags:, ,

A de nombreuses reprises, j’avais remarqué ce panneau indicateur pour touristes, sur l’autoroute A 11, indiquant la sortie Illiers-Combray (Eure-et-Loir), direction Chartres sud, avec un dessin de plume et d’encrier, mais sans mentionner à qui il était fait allusion (les happy few comprendraient).

 

(Photos : cliquer pour le souvenir.)

Et alors on se dirige vers le fameux village où Marcel Proust enfant passa ses vacances (de six à neuf ans) et dont il traça l’empreinte, l’odeur, le souvenir immarcescible – osons utiliser ici cet adjectif – fixé, comme une photographie sépia, au début de son immortelle recherche Du côté de chez Swann (Grasset, 1913, Gallimard, 1919).

 (Photo : cliquer pour entrer.)

C’est là que se dresse le clocher, c’est là que se trouve, à l’angle de deux rues, la « maison de Tante Léonie ».

(Photos : cliquer pour visiter.)

Le parcours du lieu, transformé en musée admirable dont il faut recommander la visite tant il est à la dimension humaine de celui qui y connut joies et peines, démarre, samedi 16 avril, à 14 heures trente.

D’abord la salle sur la droite, dans la cour, avec ses fauteuils d’osier, et puis on entre dans la maison et sa cuisine : la petite cafetière marron de Proust est toujours là, posée sur la table (est-ce bien prudent ? En aparté, j’ai posé la question au guide du groupe d’une quinzaine de personnes).

Ensuite, on monte l’escalier et l’on arrive dans la chambre de celui qui écrivit, après sa phrase tellement célèbre sur l’heure de son coucher : « J’appuyais tendrement mes joues contre les belles joues de l’oreiller qui, pleines et fraîches, sont comme les joues de notre enfance. »

(Gallimard, Folio N°1924, édition février 1988, page 4.)

 (Photo : cliquer pour augmenter la taille.)

Le lit paraît si petit. Sur la minuscule table de chevet, le livre François le Champi ne porte pas le nom de George Sand (l’exemplaire d’origine est conservé sous vitrine dans la grande salle-grenier des objets-souvenirs et multiples photographies, notamment de Nadar).

 « A Combray, tous les jours dès la fin de l’après-midi, longtemps avant le moment où il faudrait me mettre au lit et rester, sans dormir, loin de ma mère et de ma grand-mère, ma chambre à coucher redevenait le point fixe et douloureux de mes préoccupations. On avait bien inventé, pour me distraire les soirs où l’on me trouvait l’air trop malheureux, de me donner une lanterne magique, dont, en attendant l’heure du dîner, on coiffait ma lampe ; et, à l’instar des premiers architectes et maîtres verriers de l’âge gothique, elle substituait à l’opacité des murs d’impalpables irisations, de surnaturelles apparitions multicolores, où des légendes étaient dépeintes comme dans un vitrail vacillant et momentané. »

(page 9.)

(Photo : cliquer pour surplomber.)

Puis l’on progresse de pièce en pièce (ici, un piano droit, là une fenêtre donnant sur la rue) et, après avoir admiré la chambre de Tante Léonie, sa table avec notamment la bouteille d’eau de Vichy-Célestins, l’on redescend jusqu’à la salle à manger et tout son lustre.

Juste à côté, c’est le petit salon « oriental » avec peinture exotique et ce vitrail. L’hôte du lieu nous dit alors que dans Jean Santeuil, roman d’apprentissage, Proust a décrit un rayon de soleil qui traverse les carreaux de couleur en jouant dans la pièce avec les reflets ainsi créés.

Mais voilà qu’au moment même où notre guide rapporte ce fait, la pièce s’illumine, comme pour illustrer l’aspect véridique du souvenir. Je lui demande aussitôt si je peux prendre une photo : « Exceptionnellement, oui ! », me répond-il.

(Photo : cliquer pour une vision proustienne.)

Soudain, la scène devient romanesque (le regard dédoublé me trouble) et je me sens presque coupable d’avoir ainsi saisi l’instant privilégié.

(Photo : cliquer pour quitter.)

Plus tard, en rentrant à Paris le soir, je tomberai sur cette phrase dans Du côté de chez Swann : « Il y a beaucoup de hasard en tout ceci, et un second hasard, celui de notre mort, souvent ne nous permet pas d’attendre longtemps les faveurs du premier. »

(page 43.)

(Photo : cliquer pour prendre définitivement du champ.)

(César Franck, Sonate pour violon et piano)

commentaires
  1. M dit :

    Je vais me mettre à regarder d’un autre œil le lit ancien en bois, acheté en brocante, qui a servi à nos enfants tout petits, transformé en banquette d’appoint vu son étroitesse dès qu’ils ont grandi, et la glycine de la terrasse….

    Superbe photo du vitrail. A savoir si la vraie tante en pensait ce que Proust lui attribue dans « Du côté de chez Swann », à propos de l’église locale?
    « Mais qu’on ne vienne pas me parler des vitraux. Cela a-t-il du bon sens de laisser des fenêtres qui ne donnent pas de jour et trompent même la vue par ces reflets d’une couleur que je ne saurais définir ? »

  2. brigetoun dit :

    grand merci pour la visite et le petit miracle

  3. @ M : elle avait dû s’en accommoder, apparemment !

    • M dit :

      Heureusement pour le petit Marcel, à qui cela procurait une lanterne magique diurne, qui valait bien celle du soir, ta photo en témoigne!

  4. @ brigetoun : parfois, l’imprévu arrive…

  5. Dom A. dit :

    Excellent.
    Juste avant Pâques, les odeurs sont déjà cuites à point, promesse de nuits d’insomnies.
    Détour très émouvant.

  6. @ Dom A. : il suffit de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier !

  7. Gilbert Pinna dit :

    Ces écoulements de glycines qui font le jardin, et qui sont la maison.

  8. Désormière dit :

    Je préfère le style de Proust à la proustille même si j’aime assez les madeleines dans mon thé. Quant à cette visite respectueuse et attendrie, j’en retiens aussi les titres, en forme d’indications, qui accompagnent les photos, et qui me plaisent beaucoup.

  9. @ Gilbert Pinna : il y a aussi un beau « dessin » d’une plante grimpante sur une porte dans le jardin.

  10. PhA dit :

    Dommage que le champ soit de colza, mais bon. Un clocher au-dessus d’un champ beauceron (j’ai souvent l’occasion d’en voir) et c’est tout de suite les clochers de Martinville !

  11. @ PhA : je n’ai pu empêcher (comme dans toute la région) l’expansion du colza… Le clocher surnage quand même.

  12. gballand dit :

    Vous nous faites un joli cadeau avec cette visite. J’aime beaucoup vos « cliquer pour… »
    Il me faudrait lire Proust, maintenant, et pas seulement les 1OO premières pages…

  13. @ gballand : vous pouvez aussi cliquer ici ou .

  14. PdB dit :

    « immarceliscible » vouliez-vous écrire probablement (car jamais la prose de Marcel ne flétrira…)… Jolie promenade (j’aime beaucoup la dernière photo) (merci)

  15. @ PdB : je n’oserais faire des jeux de mots avec Marcel, mais ton néologisme peut lui aller comme des gants beurre frais.

  16. Pastelle dit :

    Merci pour la visite. Vais peut être relire Proust.

  17. @ Pastelle : jamais trop tard.

  18. […] les routes : Proust, sortie d’autoroute (A 11) – Gravures rupestres de Twyfelfontein en Namibie – Place Dauphine, 9 heures du […]

  19. Zoë Lucider dit :

    Comment douter de l’utilité de ces billets après celui-ci. Quelle merveille ces vitraux captés au meilleur de leur lustre.

  20. Quotiriens dit :

    Quand les lieux sont habités autant par leur fantôme illustre que par nos propres fantômes, de lecture et de vécu, il règne un je-ne-sais-quoi de subtil qui vous entoure.
    Cette délicate et respectueuse visite me rappelle une autre que j’avais faite, aussi sur la pointe des pieds, dans l’atelier de Cézanne il y a quelques temps.
    Une curieuse impression que toutes les dalles sont bancales et vous élève dans les nimbes (de la création?). Vous vous sentez plus léger de quelques grammes.

  21. JEA dit :

    Une boîte à musique en forme de madeleine. Avec du Brel, du Cabrel ou encore Tri Yann…

  22. @ Zoë Lucider : c’est vrai, l’impression d’être transporté dans le temps…

    @ Quotiriens : élévation du souvenir par coïncidence du présent (ou l’inverse).

    @ JEA : la lanterne magique manquait peut-être d’un accompagnement musical, qui sait.

  23. Ambre dit :

    Magnifique billet, utilité de vous lire, même à retardement.
    Suis très émue(texte et photos).

  24. @ Ambre : les retards sont admis plus facilement sur les autoroutes que dans les TGV…

  25. Francesca dit :

    Découverte de cet article magnifique écrit alors que je ne suivais pas l’auteur avec autant d’assiduité qu’à présent… Belle description de ce lieu que je connais. Emotion !

  26. @ Francesca : merci, le temps retrouvé existe !

  27. […] panneau indicateur sur l’A11, « sortie Illiers », me rappelle d’ailleurs forcément des […]

Laisser un commentaire