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Personne ne s’en était aperçu

Publié: 7 décembre 2010 dans Fiction

Dans l’anonymat complet, dissimulés par l’apparence fortement banale, leur habits passe-partout, leurs visages lisses et sans signes particuliers (au sens des anciennes cartes d’identité), ils avaient envahi la ville et personne ne s’en était aperçu.

Ils ne se déplaçaient pas en groupe même s’ils faisaient partie des personnes déplacées depuis ailleurs. Chacun disposait de sa « feuille de route », comme un ministre, et se dirigeait vers l’objectif qui lui avait été fixé : kamikazes à pied ou en voiture, ils devraient accomplir leur mission sans espoir de revivre ensuite, comme l’animal qui meurt après avoir lancé son venin.

Impossibles à repérer, ils représentaient un danger à cause de leur aspect quelconque : ils se fondaient dans la foule, sur les trottoirs, dans le métro, à l’intérieur des grands magasins, et rien ne pouvait les identifier en tant que tels. Ils étaient la copie conforme des autres citadins, citoyens, passants honnêtes et passeurs malhonnêtes, supporters de foot, adorateurs du petit écran – ils faisaient peut-être partie des 14 396 000 téléspectateurs récoltés par TF1 le 28 novembre pour le film Bienvenue chez les Ch’tis – ou électeurs admirant l’activité de leur illustre représentant (de commerce) parti en Inde avec sa cantatrice qu’il tenait fermement par la main.

Leur démarche était cependant plus souple que la moyenne, ils semblaient parfois glisser à la surface du bitume, juste quelques secondes, le temps d’une illusion optique. Ils ne parlaient pas car ils n’avaient pas appris la langue du pays, sauf quelques-uns de ses rudiments (« Bonjour, bonsoir, merci, je vous en prie, s’il vous plaît… ») qui leur permettaient un minimum de survie linguistique au milieu de la cohue ambiante. L’un d’eux avait pourtant commencé, avec une certaine difficulté, à lire Le Bavard de Louis-René Des Forêts.

Arrivés dans la capitale, ils ne devaient sans doute pas dépasser le nombre d’une dizaine : autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Les forces de l’ordre du pays avaient été averties par Interpol mais les fiches de recherche ne comportaient aucune autre photo que celle de leur vaisseau spatial.

Une sourde inquiétude grandissait, même imperceptiblement.

(Photo : approche de Paris, hier, à 09:03.)