Archives de la catégorie ‘Expositions’

Tu m’en avais reparlé, cher Piero, jeudi matin au café Le Corbeau blanc, de cette expo de François Morellet à Beaubourg, et tu pensais même qu’elle était finie. Mon œil ! J’y suis passé hier après-midi, par pur hasard.

Après une courte averse du côté de la rue Saint-Martin : soudain sur la piazza, grand soleil, et l’annonce que les Réinstallations avaient lieu jusqu’au 4 juillet, je pouvais sortir utilement ma carte d’abonné.

(Photos : cliquer pour agrandir.)

Tu sais sans doute que c’est bientôt l’anniversaire de la naissance de Georges Pompidou (5 juillet 1911) : à l’époque, nous avions un président de la République qui s’intéressait sincèrement, comme son épouse, à l’art et à la littérature.

(Photos : cliquer pour agrandir.)

Une fois arrivé tout en haut de l’escalator du Centre (j’ai vu qu’ils avaient hissé le pot doré de Jean-Pierre Raynaud jusque sur la terrasse, au milieu des tables avec roses), j’ai pénétré dans le labyrinthe – Alain Robbe-Grillet hantait peut-être les lieux – et j’ai été littéralement ébloui, mais c’est le but de la manœuvre, je crois.

(Photos : cliquer pour agrandir.)

Néons, tubes lumineux, luminescents, lumières longitudinales, pointillés blancs ou rouges dans l’espace : installations électriques ou électrisantes (on nous met en garde contre des crises d’épilepsie que certaines visions pourraient produire), humour aussi des figures, celle de la toile de Mona Lisa flottant au gré d’un ventilateur, formes géométriques surprenantes, ce rond se terminant par une branche courbe, ce carré noir sur fond blanc à la Malevitch perçant la paroi.

(Photos : cliquer pour agrandir.)

Une Japonaise prenait tout systématiquement en photo (en plus de son iPhone, elle utilisait deux appareils numériques), y compris les cartels. Alors, pourquoi me serais-je gêné ? L’artiste a créé en 1960 le Groupe de recherche d’art visuel (GRAV), oui, docteur.

(Photos : cliquer pour agrandir.)

J’ai adoré aussi que François Morellet ait inventé ce titre d’installation en forme de palindrome, qui résume presque son œuvre et sa 455e exposition : « No End Neon » (1990).

(Photo : cliquer pour terminer.)

Sur le parvis du musée d’Orsay, samedi dernier, en attendant l’ouverture de l’expo Manet (« inventeur du Moderne », titre bizarroïde) à 17 heures 30 pour les possesseurs de billets « réservés », j’ai entendu soudain le même carillon qu’à la gare du Nord, annonçant un message sur les horaires : gimmick sonore identique à celui qui prévient que « le TGV numéro 2806 en provenance de Lille entre en gare au quai numéro 13 ». Sans doute un hommage clin-d’œil ou d’oreille au passé du bâtiment ?

(Photo : cliquer pour agrandir.)

Il faut dire que j’allais un peu à reculons à cette expo, pour laquelle j’avais finalement dit « oui », car Edouard Manet n’est pas vraiment un de mes peintres préférés.

(Photo : cliquer pour agrandir.)

Mais l’hommage qui lui est ainsi rendu (du 5 avril au 3 juillet) permet de mieux découvrir son œuvre, son évolution, y compris son engagement politique (représentation d’Emile Zola ou « zoom » sur l’évasion d’Henri Rochefort en barque).

(Photo : cliquer pour agrandir.)

Outre les toiles bien connues – la force de voir en vrai et de tout près (on pourrait presque toucher, vu le faible nombre de gardiens et la proximité des tableaux) Le Déjeuner sur l’herbe, Olympia ou Le Balcon – j’ai alors particulièrement apprécié Le Petit Lange (1861) et Les Bulles de savon (1867).

(Scan : Les Bulles de savon, Lisbonne, Fondation Calouste Gulbenkian.)

Dans la section « Le moment  Baudelaire », un admirable autoportrait de celui-ci, qu’il a dessiné au crayon rouge, et qui éclipse les croquis de Manet lui-même ! Il est vrai que ce dernier peindra la maîtresse du poète, étendue sur un lit, avec un sens de la perspective tout particulier. Et découverte aussi de la lumière d’été aveuglante Chez le Père Lathuille (musée des beaux-arts de Tournai).

(Photo : cliquer pour agrandir.)

Et puis, dans la série des portraits de Berthe Morisot, il y a l’étonnante représentation de cette femme-peintre, dont les yeux sont montrés au travers de l’éventail – qui lui sert en fait de loup – derrière lequel elle se dissimule plus ou moins.

(Photo : cliquer pour agrandir.)

Sur le livre d’or du musée, près de la sortie, on peut lire beaucoup de réclamations concernant les horaires mal indiqués, les fermetures inopinées, l’accueil déplaisant, etc. Concernant l’expo Manet, rien à signaler pourtant : juste un type qui se faisait traîner hors des salles par quatre gros bras pour une raison inconnue.

Le réalisme est sans doute à prendre avec philosophie.

(Photo : cliquer pour agrandir.)

(Debussy, 1ère Arabesque)

L’exposition occupe une seule salle du Grand Palais et baigne dans la lumière douce et tamisée de l’île de la Martinique. Pourtant, le poète Aimé Césaire semble plus fort et présent ici qu’au Panthéon et son écriture appliquée n’est pas travestie par un scribe qui, récemment, l’a récupérée sans vergogne pour son maître. Accrochés aux murs, les dessins et toiles de Wifredo Lam et Picasso se côtoient dans leur fraternité.

(Photo le 23 avril. Cliquer pour agrandir.)

Dehors, soleil et touristes, De Gaulle arpente indéfiniment la place, circonscrit dans son cercle historique, tandis qu’un esclave moderne est sur le point de faire éclater ses mollets : des visiteurs paresseux lui donneront sans doute un pourboire en dollars. Victor Schoelcher est loin, lui aussi.

(Photos : cliquer pour agrandir.)

Mais en levant la tête, l’espace s’agrandit, la liberté s’élance, on peut lâcher la bride à l’imagination. L’espace Schengen et ses liquidateurs paraît vraiment minuscule.

(Photo : cliquer pour agrandir.)

http://bit.ly/mjPICs❘titles=Eric%20Truffaz-Less
(Eric Truffaz, Less)

L’exposition Cranach et son temps, au musée du Luxembourg à Paris (6e), s’est ouverte le 9 février et se poursuit jusqu’au 23 mai. Hier, vers 16 heures, les billets pris sur Internet permettaient de doubler la file d’attente et de parcourir les salles où sont exposés les magnifiques tableaux de Lucas Cranach l’Ancien, sans qu’une foule énorme, comme on pouvait le craindre, empêche de s’approcher d’eux pour en admirer jusqu’à la beauté du grain.

(Photo : cliquer pour agrandir.)

Mais tout est visible ici.

En dehors des œuvres les plus connues comme son Autoportrait (1531), l’Allégorie de la Justice (1537), ou ses nus graciles, gracieux et audacieux pour l’époque, j’ai noté, par exemple, la présence d’un certain Mélanchthon, moins bavard que le nôtre, et puis, pour leur originalité et leur puissance, Hercule chez Omphale (1537), Les Amants mal assortis (1522), La Bouche de la vérité (1525-1530), le Portrait idéalisé d’une jeune femme, vers 1530.

Mais la toile qui m’a le plus emballé est celle intitulée La Mélancolie (1532) : avec cette si jolie blonde en rouge et noir qui taille un bâton avec un couteau, près d’elle se tient un chien couché, et une sorte de boule mystérieuse se trouve posée sur le sol à côté d’une table basse aux pieds dans une perspective légèrement décalée, deux oiseaux semblent se faire la conversation, et trois enfants montrent leur surprise tandis que derrière eux – comme un tableau dans le tableau – un autre enfant bouge sur une balançoire alors que des sorcières jouent la sarabande dans l’air. Une ouverture dans le mur droit donne sur un autre ciel, prolongement de celui de la scène elle-même.

(Scan : La Mélancolie. Cliquer pour agrandir.)

Tout ceci peut paraître tellement dérisoire au moment où la population du Japon subit une immense catastrophe (sismique, tsunamique et nucléaire…) indescriptible.

Mais l’art est peut-être l’une des dernières chances de l’existence.

Le musée René Magritte avait ouvert ses portes  à Bruxelles (Belgique) le 2 juin 2009. Samedi dernier, j’ai pu visiter les lieux, mais je n’ai pas vraiment retrouvé la magie noire rencontrée ailleurs sous le pinceau du grand peintre.

Est-ce la succession des différentes salles qu’il faut quitter par un escalier, et leur espace plutôt réduit, qui gêne ? Est-ce l’éclairage, bien chiche, qui apporte trop d’obscurité au lieu des illuminations attendues ? Seraient-ce les explications historiques et biographiques, imprimées en petite taille au début de chaque parcours, qui n’accrochent pas suffisamment le passant ?

Pourtant, Magritte fut inscrit au Parti communiste et les bouleversements actuels dans le monde montrent que la révolution (mariage de la liberté et de l’amour) sait advenir quand le peuple a décidé de prendre l’horloge de l’Histoire en main.

Comme une légère déception – certains tableaux célèbres ont même joué, dirait-on, les filles de l’air – plane ainsi dans le ciel qui semble réfléchir à deux fois, sur les toiles présentées, à sa destinée minérale. Le labyrinthe chercherait-il à étouffer à la longue ?

Il est d’ailleurs interdit de prendre la moindre image sur place et des cerbères au regard aiguisé guettent et pourchassent les contrevenants : ceci n’est pas une vidéo sur l’œuvre de Magritte, simplement quelques plans tirés (peut-être) à double vue.

Le 27 janvier, j’avais juste repéré une affiche annonçant l’expo Lucas Cranach et son temps au musée du Luxembourg à Paris et je m’étais dit qu’ils s’y prenaient bien à l’avance : elle a débuté le 9 février et se déroulera jusqu’au 23 mai.

C’est de Cranach L’Ancien (1472-1553) qu’il s’agit, le peintre allemand des femmes éthérées, diaphanes, offrant toutes un peu le même visage et le corps dépouillé de trop d’artifices.

En regardant quelques tableaux reproduits, pour l’occasion, dans la presse – j’avais pu en admirer à la Galerie des Offices à Florence en août 2008 – je songeais à cette unité de style et à son audace pour l’époque. Le pinceau du maître aimait conjuguer le glaive avec le nu féminin.

Ainsi, son Allégorie de la Justice (1537) représente-elle sans doute maintenant un fantasme caché du bredouillant ministre Michel Mercier.

(Allégorie de la Justice.)

Ainsi, le diptyque (1) Judith et Lucrèce a-t-il été analysé par Michel Leiris dans L’Âge d’homme (1946). Par exemple, ici :

« Il est loisible à chacun de se demander, à la vue du tableau double de Cranach, si ce ne sont pas des chaînons analogues qui ont relié dans son esprit les deux héroïnes, Lucrèce la chaste et Judith la catin patriote, au point de les représenter dans un même couple de figures ? On peut supposer que leurs deux gestes, apparemment distincts, étaient au fond identiques et que, pour toutes deux, il s’agissait avant tout de laver dans le sang la souillure d’une action érotique, expiant, l’une par son suicide, la honte d’avoir été violée (en y prenant peut-être du plaisir) l’autre par le meurtre du mâle, celle de s’être prostituée. De sorte que ce ne serait pas un simple caprice, mais en vertu d’analogies profondes, que Cranach les aurait peintes en pendants, nues et désirables, confondues dans cette absence complète de hiérarchie morale qu’entraîne la nudité des corps, et saisies au bord d’actes particulièrement exaltants. »

(Lucrèce et Judith.)

Ainsi, Vénus debout dans un paysage est-elle présentée par les rédacteurs de Wikipédia de cette manière : « Dans La Vénus de 1529, Cranach reprend un sujet très classique de la Renaissance pour en faire une œuvre d’un érotisme ambiguë (sic). Représentée nue comme le veut la tradition, la Vénus est une jeune fille oblongue aux formes prépubères. Mais loin d’être pudique, elle porte un collier à la manière des courtisanes, elle montre son sexe d’un doigt et regarde le spectateur d’un œil aguicheur. Le paysage stylisé renvoie à l’Allemagne de son époque[4]. »

(Vénus debout dans un paysage. Cliquer pour agrandir.)

Heureusement, d’ici mai, les beaux jours seraient revenus : on pourrait même sortir légèrement (mais décemment) vêtu et se décider alors à aller visiter cette expo peut-être d’un simple coup de vélo.

(Photo : cliquer pour agrandir.)

____________

(1) La reproduction donnée par Le Point, que j’ai utilisée dans un premier temps (Judith avec la tête d’Holopherne), comme étant celle à laquelle Michel Leiris se réfère, est fausse. Un lecteur, Guy Ponsard, que je remercie, m’en a fait la remarque en m’envoyant l’extrait du livre que je n’avais pas pris le temps de rechercher tout de suite dans mes étagères. Il me précise que ce diptyque n’existe plus qu’en reproduction noir et blanc. Celle qui figure en couverture de L’Âge d’homme (Livre de poche numéroté 1559, © Editions Gallimard 1946), est la même et montre uniquement l’une des deux figures du  double tableau mais « colorisée » en orange, avec lettrage vert – et la tête de Judith est… coupée par le cadrage !

Jean-Michel Basquiat, à l’aise

Publié: 24 décembre 2010 dans Expositions
Tags:

Ils voisinent tous les deux dans le même musée, par la grâce d’un maire ouvert à l’art : Jean-Michel Basquiat, mort à vingt-huit ans, et les ados photographiés par Larry Clark.

(Photos : cliquer pour agrandir.)

Le premier est exposé dans une suite de salles où l’on peut découvrir, dévisager, délier son parcours pictural, des représentations minimalistes aux œuvres peintes à même des structures en bois, après avoir partagé un temps sa démarche avec Andy Warhol.

(Photo : cliquer pour agrandir.)

Grafitti, école de la rue, graphes, ô man, graphiteur gravant le léger soupçon de la vie au poinçon, toiles zébrées à grands traits, cadres cloutés où le jute explose, têtes de « nègres » ou de fous et musique de jazz…

(Photo : cliquer pour agrandir.)

Sensation éclair du présent, anatomie d’une main à pinceau, les avions roulent, les voitures volent, les lettres planent, et puis la litanie des inventeurs ou penseurs, les noms se succèdent, ils font partie de la mémoire commune, la peinture les chante, les imprime, l’hommage est de leur temps malgré les siècles.

(Photo prise par Andy Warhol. Cliquer pour agrandir.)

Certains tableaux de Basquiat sont des 33 tours, des galettes, reproduction mais à distance (celle de l’oreille qui voit) des créateurs : Charlie Parker, Miles Davis… Le diamant est le fil, sillon pictural qui s’enroule sans fin.

(Photo : cliquer pour agrandir.)

Les déménageurs en tenue de travail bleu clair avec leur fauteuil rouge semblent flotter dans l’air : tout est mouvement (to move), désir d’ailleurs. Vers la fin, formule répétitive « Man’s Death », trois pattes d’oiseau.

(Photo : cliquer pour agrandir.)

A dix heures du matin, hier, les visiteurs enduraient le froid avant que les portes ne s’ouvrent. Plus tard, en sortant du Musée d’art moderne, la neige : héroïne du jour, blanche alliée de l’aplat noir (par contraste obligé avec des rouges, des bleus, des jaunes), élancé, torturé, raturé, signé.

(Photo prise par Lizzie Himmel, New York, 1985. Cliquer pour agrandir.)

Il nous aurait fallu, hier, des gouttes rectangulaires.

(Photos : cliquer pour agrandir.)

Piet Mondrian (1872-1944), géomètre des couleurs dites primaires, compositeur en lignes.

(Photos : cliquer pour agrandir.)

Visage extérieur, architecture intérieure, abstraction avant.

(Photos : cliquer pour agrandir.)

Questions de Styjl.

(Photos : cliquer pour agrandir.)

Théorèmes au tracé déterminant rouge, bleu, jaune, noir, Poincaré.

(Photos : cliquer pour agrandir.)

Dimanche matin, elle m’a sauté aux yeux : comme si elle s’était refait une beauté, histoire de survivre à la disparition de ses sœurs de lait ou d’allo.

J’ai rencontré l’artiste qui l’a maquillée (il ne travaille pas chez L’Oréal), et il a bien voulu me dire quelques mots sur son œuvre.

(Photo : cliquer pour agrandir.)

—   Jean-Paul Himère, l’idée vous est venue comment ?

—   Je désirais faire une « désinstallation » qui ne soit pas recluse dans un musée, qui n’apparaisse pas ornée d’une étiquette (il faut dire un « cartel ») avec le nom de l’auteur, la date de la conception, et un gardien de musée pour surveiller le tout.

—   Mais pourquoi une cabine téléphonique plutôt qu’une boîte aux lettres ou les deux (vous auriez pu ainsi reconstituer l’unité perdue des PTT), ou tout autre signe urbain signé par le roi Decaux ?

—   Quand j’observe les gens dans la rue, dans le métro, au cinéma, au théâtre, dans une librairie ou chez Franprix accrochés à leurs téléphones portables, je me dis que la cabine téléphonique est morte et enterrée : j’ai voulu lui tresser une sorte de couronne à la Borniol (j’adore ce nom) !

—   Mais vous savez que c’est interdit de maculer ou de détruire ainsi le mobilier urbain ?

—   Détruire, dit-il… Mais non, embellir, cajoler, mettre en valeur, caresser de la bombe, farder, rendre attractive, montrer du doigt, joindre l’utile à l’agréable !

—   Même l’appareil téléphonique et son support n’ont pas échappé à votre entreprise de ravalement…

—   Oui, j’ai voulu que le combiné se combine avec l’ensemble : ce téléphone à l’ancienne avec son câble ressemblant à la texture d’un tuyau de douche, ces touches sur lesquelles on tapote comme sur un ancien juke-box, il fallait que ça pulse aussi à l’intérieur (même si on peut être écouté).

—   Pour ce forfait, vous ne craignez pas que l’on vous recherche, que la police scientifique de l’inamovible – ou du fixe – Brice Hortefeux ne vous identifie par vos empreintes ADN ou grâce à une caméra de vidéosurveillance qui vous aurait eu à l’œil ?

—   Non, j’opère toujours avec des gants et, compte tenu du climat réfrigérant ces temps-ci, je porte un passe-montagne : ce n’est pas encore interdit, que je sache !

(Photo :  cliquer pour agrandir.)

—   Vous avez voulu exprimer quoi, par votre intervention ?

—   La communication est l’un des enjeux majeurs de notre siècle. Mais l’absence d’imagination, la pauvreté du design (on regrette tous la moto Aprilia 650 cm3 créée par Philippe Starck) n’encouragent pas le citadin, voire le rural, à utiliser les moyens techniques destinés à faire avancer le progrès à grands pas. Or, la beauté fait vendre (regardez Apple) si elle est évidente : les cabines téléphoniques ont été conçues comme des objets purement utilitaires – même pas un tabouret avec une machine à café ! – alors que les téléphones mobiles sont ludiques : même le plus haut personnage de l’Etat est un accro des SMS, de certaines applications (accès aux blogs du monde.fr, par exemple).

—   Vous comptez relancer le marché des cabines téléphoniques ? C’est complètement ringard !

—   Non, je n’ai pas cette ambition : il est bien plus pratique de téléphoner en marchant que de stationner entre quatre murs, même si l’on est, dans le deuxième cas, à l’abri lors d’intempéries soudaines. Ce qui m’intéressait : montrer, avec cette action-painting, une certaine métaphysique de l’enfermement.

—   Oui, mais encore ?

—   La cabine téléphonique est une prison en réduction : Michel Mercier, notre nouveau garde des Sceaux et ministre de la Justice et des Libertés (sic), pourrait toutes les récupérer pour loger les détenus surnuméraires dans les prisons, situation qui crée quelques problèmes à l’administration pénitentiaire (évasions, suicides, désordre, révolte…). En tant que cellule individuelle, la cabine téléphonique est à l’image de notre communication : cloisonnement, individualisation, secret, fausse transparence, c’est pour cela que j’ai opacifié les vitres par mes arabesques de couleur.

—   Mais le téléphone mobile n’est-il pas lui-même une nouvelle contrainte ? Il paraît que l’iPhone vient en tête du palmarès des vols à l’arraché en région parisienne.

—   Certes, la chaîne s’est raccourcie, elle est même invisible sur le portable. Mais question « look », je ne pourrais intervenir : chacun peut jouer à l’artiste en achetant un modèle personnalisé ou une pochette individualisée. Comment faire une « désinstallation » sur ce qui n’est pas préalablement « installé » quelque part ?

—   Quand il n’y aura plus aucune cabine téléphonique, et cela ne devrait pas tarder, vous illustrerez quoi ?

—   Les voitures dans la rue… les figures des passants… les tableaux dans les musées… ou les « installations » qu’ils exposent… Et pourquoi pas : la lune…

(Photo : cliquer pour agrandir.)

L’immeuble haussmannien se trouve juste à côté d’un magasin de motos, alignées sur le trottoir. L’adresse que porte l’invitation, invitant à découvrir Sophie Koechlin, Peintures & illustrations – c’est la même que Sophie K., celle du blog – conduit au 19 de l’avenue Parmentier, Paris, 11e.

(Photo : cliquer pour agrandir.)

Mais cette fois, les toiles de Sophie K. ont quitté la Toile, il suffit de prendre l’ascenseur minuscule (une seule personne autorisée) qui mène au troisième étage pour s’en convaincre.

C’est Christophe Paymal, l’organisateur de l’expo dans son immense appartement, qui ouvre la porte, et la peintre est là, nous nous reconnaissons sans nous être jamais vus auparavant.

(Photos : cliquer pour agrandir.)

Elle me fait visiter les pièces, jusqu’au couloir, où ses œuvres sont accrochées (au nombre de dix-huit). Les petits carrés rouges indiquent que certaines sont déjà réservées. Les prix sont abordables, la peinture la plus chère est l’imposante Villa Koliba (voir ici aussi). Mais je crois comprendre que Jimmy Hendrix n’est pas vraiment à vendre, ce qui semblerait logique.

(Photos : cliquer pour agrandir.)

La peinture de Sophie K. frappe par son style, son faux hyper-réalisme, ses atmosphères ou ambiances fortes et secrètes à la fois, comme lorsque l’on lit un polar de James Ellroy, par exemple L.A. Confidential : le nom de son blog et ses goûts ont sûrement à voir avec cet univers.

(Photos : cliquer pour agrandir.)

Ses références à la musique et au jazz (impressionnante toile intitulée Monk) ont de qui tenir, son père était Philippe Koechlin, fondateur de Rock & Folk. La mère de Sophie K. est là, elle me raconte qu’elle a connu son mari très tôt, en classe. « Oui, vous aviez dix-sept ans… », lui dis-je à son grand étonnement. Elle possède encore tous les disques 33 tours de son époux, mais il lui manque le diamant pour la platine.

(Photos : cliquer pour agrandir.)

Des visiteurs arrivent périodiquement, l’interphone vrombit. Un photographe, un dessinateur, on parle photos et musique, et donc de l’indispensable Jean-Pierre Leloir, de Jazz Magazine (que je préférais à Jazz Hot) : un livre rassemblant ses clichés de musiciens a été publié par Stéphane Koechlin, ancien journaliste, qui a quitté Le Figaro pour se consacrer à l’écriture, et  est l’auteur de 17 livres (Jimmy Hendrix, Bob Dylan…), me précise sa mère.

(Photos : cliquer pour agrandir.)

L’appartement est somptueux : l’idée d’exposer dans un lieu privé me rappelle ces comédiens qui peuvent venir à domicile jouer une petite pièce de théâtre.

On boit un verre (vin blanc, Perrier, jus d’orange…). Soudain, quelqu’un m’interpelle, il s’appelle Patrick Verroust, et voilà que son commentaire n’en finit plus !

(Photo : cliquer pour agrandir.)

Je regarde l’avenue par la fenêtre :  la nuit s’est cassé la figure. Il faudrait avoir un chevalet sous la main pour fixer sa chute acrobatique et acrylique.

(Photo : cliquer pour agrandir.)