Dimanche matin, elle m’a sauté aux yeux : comme si elle s’était refait une beauté, histoire de survivre à la disparition de ses sœurs de lait ou d’allo.
J’ai rencontré l’artiste qui l’a maquillée (il ne travaille pas chez L’Oréal), et il a bien voulu me dire quelques mots sur son œuvre.
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— Jean-Paul Himère, l’idée vous est venue comment ?
— Je désirais faire une « désinstallation » qui ne soit pas recluse dans un musée, qui n’apparaisse pas ornée d’une étiquette (il faut dire un « cartel ») avec le nom de l’auteur, la date de la conception, et un gardien de musée pour surveiller le tout.
— Mais pourquoi une cabine téléphonique plutôt qu’une boîte aux lettres ou les deux (vous auriez pu ainsi reconstituer l’unité perdue des PTT), ou tout autre signe urbain signé par le roi Decaux ?
— Quand j’observe les gens dans la rue, dans le métro, au cinéma, au théâtre, dans une librairie ou chez Franprix accrochés à leurs téléphones portables, je me dis que la cabine téléphonique est morte et enterrée : j’ai voulu lui tresser une sorte de couronne à la Borniol (j’adore ce nom) !
— Mais vous savez que c’est interdit de maculer ou de détruire ainsi le mobilier urbain ?
— Détruire, dit-il… Mais non, embellir, cajoler, mettre en valeur, caresser de la bombe, farder, rendre attractive, montrer du doigt, joindre l’utile à l’agréable !
— Même l’appareil téléphonique et son support n’ont pas échappé à votre entreprise de ravalement…
— Oui, j’ai voulu que le combiné se combine avec l’ensemble : ce téléphone à l’ancienne avec son câble ressemblant à la texture d’un tuyau de douche, ces touches sur lesquelles on tapote comme sur un ancien juke-box, il fallait que ça pulse aussi à l’intérieur (même si on peut être écouté).
— Pour ce forfait, vous ne craignez pas que l’on vous recherche, que la police scientifique de l’inamovible – ou du fixe – Brice Hortefeux ne vous identifie par vos empreintes ADN ou grâce à une caméra de vidéosurveillance qui vous aurait eu à l’œil ?
— Non, j’opère toujours avec des gants et, compte tenu du climat réfrigérant ces temps-ci, je porte un passe-montagne : ce n’est pas encore interdit, que je sache !
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— Vous avez voulu exprimer quoi, par votre intervention ?
— La communication est l’un des enjeux majeurs de notre siècle. Mais l’absence d’imagination, la pauvreté du design (on regrette tous la moto Aprilia 650 cm3 créée par Philippe Starck) n’encouragent pas le citadin, voire le rural, à utiliser les moyens techniques destinés à faire avancer le progrès à grands pas. Or, la beauté fait vendre (regardez Apple) si elle est évidente : les cabines téléphoniques ont été conçues comme des objets purement utilitaires – même pas un tabouret avec une machine à café ! – alors que les téléphones mobiles sont ludiques : même le plus haut personnage de l’Etat est un accro des SMS, de certaines applications (accès aux blogs du monde.fr, par exemple).
— Vous comptez relancer le marché des cabines téléphoniques ? C’est complètement ringard !
— Non, je n’ai pas cette ambition : il est bien plus pratique de téléphoner en marchant que de stationner entre quatre murs, même si l’on est, dans le deuxième cas, à l’abri lors d’intempéries soudaines. Ce qui m’intéressait : montrer, avec cette action-painting, une certaine métaphysique de l’enfermement.
— Oui, mais encore ?
— La cabine téléphonique est une prison en réduction : Michel Mercier, notre nouveau garde des Sceaux et ministre de la Justice et des Libertés (sic), pourrait toutes les récupérer pour loger les détenus surnuméraires dans les prisons, situation qui crée quelques problèmes à l’administration pénitentiaire (évasions, suicides, désordre, révolte…). En tant que cellule individuelle, la cabine téléphonique est à l’image de notre communication : cloisonnement, individualisation, secret, fausse transparence, c’est pour cela que j’ai opacifié les vitres par mes arabesques de couleur.
— Mais le téléphone mobile n’est-il pas lui-même une nouvelle contrainte ? Il paraît que l’iPhone vient en tête du palmarès des vols à l’arraché en région parisienne.
— Certes, la chaîne s’est raccourcie, elle est même invisible sur le portable. Mais question « look », je ne pourrais intervenir : chacun peut jouer à l’artiste en achetant un modèle personnalisé ou une pochette individualisée. Comment faire une « désinstallation » sur ce qui n’est pas préalablement « installé » quelque part ?
— Quand il n’y aura plus aucune cabine téléphonique, et cela ne devrait pas tarder, vous illustrerez quoi ?
— Les voitures dans la rue… les figures des passants… les tableaux dans les musées… ou les « installations » qu’ils exposent… Et pourquoi pas : la lune…
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