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Le paquet

Publié: 3 juin 2011 dans vases communicants

Le Tiers livre et Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.

La liste complète des participants se trouve ici grâce à Brigitte Célérier.

Aujourd’hui, l’échange a lieu entre Presquevoix…  et L’Irréductible.


Au courrier, elle avait reçu cette lettre de lui :

« Vendredi, à 6 heures, regarde dans le sac en plastique noir, en bas de l’allée en terre, il y aura un paquet. Ne le donne à personne et ne l’ouvre pas. Attention, on te surveille. »

Depuis six mois elle vivait au milieu de nulle part, dans un immeuble où la cage d’escalier, couverte de graffiti, servait de lieu de rendez-vous à des jeunes désœuvrés. Elle aurait bien voulu habiter ailleurs, seulement avec ses 900 euros d’allocation mensuelle, impossible.

Elle appela son fils qui jouait dans la friche avec ses copains ; il arriva en nage. Elle l’embrassa – depuis qu’elle était seule avec lui, elle ne pouvait s’empêcher de l’embrasser à tout bout de champ – puis elle l’envoya se doucher. Son fils ne serait pas un raté, jamais. Elle compta tous les ratés qu’elle avait connus : Daniel, Kevin, Mohamed, Fred, Djamel, Alex et le dernier en date… celui qui lui avait donné un fils. Il lui faudrait trouver le courage de dire à l’enfant que son père était en cavale et qu’il ne reviendrait pas tout de suite.

Son fils sortit de la salle de bain, le cheveu mouillé, enveloppé dans une serviette mauve. Il lui souriait et cela lui suffisait.

– Maman, aujourd’hui, il y a un monsieur qui m’a dit qu’il te connaissait.

Elle blêmit.

– Un monsieur ? Comment il était ?

– Grand, avec des cheveux noirs. Il m’a dit qu’il viendrait te voir. Il m’a même donné un bonbon.

– Tu ne l’as pas pris, j’espère.

– Ben si, pourquoi ?

Elle se tut. Inutile de l’inquiéter. Et qu’est-ce qu’il t’a dit, le monsieur ?

– Rien, il m’a demandé si j’étais bon au foot, si j’avais des copains, qui était mon papa…

Elle ne le questionna plus. A 21 heures l’enfant était au lit et à 22 heures, l’inconnu aux cheveux noirs occupait toujours ses pensées. Elle mit son réveil pour 5 heures 30, se recouvrit la tête de son drap – une habitude qui lui venait de l’enfance – et s’endormit aussitôt.

A 5 heures 50, elle commença à descendre l’allée en terre et, au fur et à mesure qu’elle marchait, une boule grossissait dans son ventre. Si cet inconnu venait lui demander des comptes à elle qui ne savait rien, elle qui avait toujours été tenue à l’écart de tout jusqu’au jour où elle avait dû se rendre à l’évidence : son mari lui avait menti de A à Z.

Arrivée au bout de l’allée, à droite, il y avait bien un sac en plastique noir. Elle le regarda, se baissa, puis l’ouvrit. A l’intérieur, un petit  paquet emballé dans du papier kraft. Elle vérifia qu’il n’y avait personne et elle fut rassurée, elle était bien seule dans ce paysage que la lumière laiteuse rendait presque beau.

À la porte de l’immeuble, un homme attendait.

– Madame Dussart ?

Instinctivement, elle serra le paquet contre elle.

– Oui.

– Je viens pour le paquet.

– Le paquet ? balbutia-t-elle.

– On peut entrer ?

Elle ne se sentit pas le courage de s’opposer. L’inconnu  referma la porte derrière lui.

– Votre mari m’appelle  « le survivant », vous me remettez ?

Elle fit signe que non.

– Ce paquet, c’est à moi.

Quand il approcha sa main pour le prendre, elle le serra tout contre sa poitrine. Elle remarqua que l’homme avait trois doigts en moins à la main droite.

– Votre mari ne vous a jamais parlé de moi ?

– Mon mari ne m’a jamais parlé de rien ; d’ailleurs, il est parti. Juste une lettre hier.

– Une balle qui a failli me faire passer de vie à trépas, tout ça à cause de ce con, poursuivit-il.

Elle ne comprenait rien mais hochait la tête, peut-être pour apaiser sa colère.

– Il m’a coupé trois doigts, comme ça, pour le plaisir de foutre ma vie en l’air ; j’étais pianiste dans un bar. Trois doigts parce que ce connard est jaloux, trois doigts, c’est le prix à payer parce que moi, son frère, je couchais avec cette petite pute dont il s’était entichée. Vous étiez au courant ?

– Non.

Tremblante, elle serrait le paquet contre son cœur. Que contenait-il pour qu’il veuille se l’approprier à tout prix ?

– Je ne peux pas vous croire. Il ne m’a jamais parlé de vous, il disait qu’il était orphelin. Ce paquet, c’est moi qui vais l’ouvrir et…

– Eh bien, allez-y, ouvrez-le, vous ne serez pas déçue.

Les doigts tremblants, elle déchira le papier kraft. Elle ne put retenir un cri d’effroi quand, dans une boîte noire, elle découvrit trois doigts enfermés dans un sac congélation. Une chevalière en or sertie d’un rubis rouge ornait ce qui semblait être un annulaire.

– Je ne comprends pas, dit-elle d’une voix blanche.

– La chevalière, c’est celle de mon père : 4 000 euros ! Et c’est à moi qu’il l’a donnée, pas à ce cinglé qui me sert de frère. Hier j’ai parlé à votre fils. Il a besoin de vous, n’est-ce pas ? Et j’imagine que vous n’avez pas envie…

Elle ne lui laissa pas terminer la phrase, elle lui tendit la boîte, le poussa vers la porte, ferma le loquet, puis elle se rendit dans la chambre de son fils. Il dormait toujours paisiblement, le pouce dans la bouche. Elle l’embrassa sur le front et murmura : « Toi, tu ne seras jamais comme lui, jamais. »

Texte : G. Balland

Photo : D. H.